Quand le savoir et la vie s’écrasent sur notre lune

Une arche du savoir

charles perez
5 min readMay 27, 2021

Les premières traces du genre homo remontent à 2,5 millions d’années. Nous sommes en quelque sorte les vestiges de cette histoire. De quoi avons-nous hérité d’autres ? Les Égyptiens ont réussi dans une quête presque obsessionnelle de l’éternité à transmettre une partie des 3000 ans d’histoire de leur civilisation. Cet exploit a été rendu possible au travers des objets, des écrits hiéroglyphiques gravés sur les murs ou posés sur des papyrus (par exemple le livre des morts), mais aussi des joyaux architecturaux dont la construction garde encore des mystères. J’espère que ces œuvres parcourront encore quelques millénaires supplémentaires. Elles savent se cacher des hommes pour mieux se conserver. En comparaison, nos hommes modernes et numériques semblent parfois de modestes contributeurs à des empires virtuels, qui s’effacent en un clic.

Protéger le savoir et assurer la persistance de notre connaissance est une tâche lourde de symboles et d’importance. En particulier quand on espère lui faire dépasser le temps et surmonter l’espace. Nova Spivack est le cofondateur de l’organisation The Arch Mission Foundation[1]. Sa mission est simple : assurer la préservation de la connaissance humaine, l’assurer face au risque grandissant que porte homo sapiens sur lui-même et sur la planète. Préservation imaginée au mieux et au plus loin dans le temps. Les solutions envisagées sont multiples et ne se limitent pas à un lieu de stockage sur Terre. Pour la préservation, d’autres astres du système solaire sont envisagés. La Lune en fait partie. L’entrepreneur américain confie : « Notre travail est la sauvegarde matérielle de cette planète. Notre rôle est de nous assurer que nous protégeons notre patrimoine. À la fois nos connaissances et notre biologie. Nous devons en quelque sorte planifier le pire. »

Pour assurer cette mission, dans la lignée du disque de Voyager, une équipe a travaillé à l’élaboration de 25 disques de nickel. Ces derniers peuvent résister à plus de mille degrés et ne s’altèrent pas au contact des rayons cosmiques. Ils semblent donc prêts pour le passage du temps. Ils resteraient lisibles après plus de 14 milliards d’années. Un différentiel qui fait se demander à quoi servent nos mots qui s’effacent à peine posés sur un bout de papier ou un coin de digital. Toutes les autres œuvres semblent, d’un seul coup, irrésistibles et si fragiles. Peut-être est-ce finalement cela qui leur donne un sens, une sensibilité ?

Plus qu’une pierre, symbole de la ruine du passé, plus qu’un débris, symbole de l’écroulement, plus qu’un bruit sortant du silence. Il restera de lui quand il ne restera plus rien. Comme si le toucher nous réduirait instantanément en état de cendre. Pour se faire une idée de ce parfum de temps, rappelons que la Terre à 4,543 milliards d’années et qu’elle cessera d’être habitable d’ici 1,75 à 3,25 milliards d’années[2]. Ne parlons pas de notre passage, de votre passage et du mien. Ils ne valent même pas un claquement de doigts.

Une version de cette arche de nickel fut embarquée dans la sonde spatiale SpaceIL Beresheet en 2019. Beresheet dont le nom symbolique correspond au premier mot de la bible signifiant « au commencement ». Il est profond de sens et s’associe aux termes bara (il a créé), berit (l’alliance), et shit (le fondement). Cette sonde fut placée en orbite le 22 février 2019 par la fusée Falcon 9 de SpaceX. L’une des nombreuses entreprises fondées et dirigées par l’entrepreneur à succès Elon Musk. Le 4 avril, la sonde est cette fois placée sous orbite lunaire.

L’arche comporte 30 millions de pages Wikipédia, mais également d’autres formes de savoir et d’information. C’est peut-être bien cela notre contribution majeure de ce siècle, une encyclopédie collaborative en ligne et plus complète que jamais. Une œuvre digitale pour remplacer les autres : les temples, la grande muraille, les cathédrales, les pyramides, les peintures rupestres. Notre dernière œuvre a un avantage considérable, c’est une œuvre mobile, légère, qui peut se répliquer sans effort. Quelques attributs communs avec la vie qui peut-être lui permettront de survivre aussi longtemps ?

Le tardigrade est une espèce extrémophile.

Le disque contenait justement des briques de la vie. Des échantillons d’ADN humains ont été ajoutés au dernier moment ainsi qu’un ensemble de petits êtres bien particuliers. Les tardigrades ou oursons d’eau (Figure). D’un peu plus d’un millimètre, ces marcheurs lents sont des eucaryotes très résistants. Ils peuvent survivre dans des conditions extrêmes grâce à leur talent de cryptobiose. Figeant totalement leur état en l’absence d’eau, cet extrémophile se régénère dans des conditions favorables. En laboratoire, on les a observés jusqu’à neuf ans dans un état de cryptobiose. Solide au point de vivre en Himalaya et même de survivre dans les glaces profondes. Nous ne leur connaissons pas vraiment de limites. C’est finalement peut-être même sa présence qui a permis au disque de résister.

Dans les derniers jours avant le lancement, il a été décidé de l’intégrer au disque. Précisément entre les 25 disques, de la résine encapsule les petits êtres. Quelques milliers de tardigrades emprisonnés, mais ayant finalement pour effet de rendre plus robustes les strates de nickel. Un détail qui a son importance, car dans sa tentative d’alunissage, l’explorateur privé israélien finira par s’écraser le 11 avril 2019 sur le sol lunaire. La mission est un échec, il est détruit, mais l’arche a peut-être survécu. Cet ajout de dernière minute a permis de consolider les disques. Les scientifiques sont confiants sur les chances d’une bibliothèque lunaire intacte.

Ce projet révèle la volonté de l’homme d’offrir à son savoir une quête d’immortalité. Adresse-t-il se savoir à lui-même ou à une forme de vie extraterrestre ? En retenant la seconde hypothèse, la prudence serait de mise.

En 2015, Yuri Milner et Stephen Hawking ont encouragé la recherche de formes de vie extraterrestre au travers du programmeBreakthrough Initiatives. En particulier les programmes Breakthrough Message et Listening visant à écouter les messages qui proviendraient de l’espace et à en transmettre[3]. L’objectif est de construire des messages qui pourraient être lus par une civilisation avancée. Nous sommes alertés cependant au sujet du risque de répondre à un éventuel message : « Nous devons nous garder de répondre jusqu’à ce que nous ayons développé un peu plus loin notre technologie. Rencontrer une civilisation plus avancée, à notre stade actuel, pourrait être un peu comme les premiers habitants d’Amérique rencontrant Christophe Colomb. »

Pour aller plus loin, il faudrait faire encore plus petit qu’un disque, plus léger. Une nouvelle fois, la vie nous apporte une solution.

[1] https://www.archmission.org/

[2] Catling, D. C., Krissansen-Totton, J., Kiang, N. Y., Crisp, D., Robinson, T. D., DasSarma, S., et al.. Exoplanet Biosignatures: A Framework for Their Assessment. Astrobiology, 18(6), 709–738, 2018.

[3] Rachel Feltman, « Stephen Hawking announces $100 million hunt for alien life », Washington Post, 20 juillet 2015.

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charles perez

Professeur associé à la paris school of business. Docteur en science de l’information. Auteur du manuel du métavers