Mon prochain bain de mer sera dans le métavers

charles perez
3 min readJun 13, 2023

--

Le posthumain, cette hypothétique mutation de l’humanité via la technologie, pourrait bien trouver son émergence par le truchement des extensions technologiques et du métavers. Si le web 4.0 est couramment désigné comme le web sensoriel, l’immersion dans le métavers ne gagnera qu’en authenticité à mesure que les interfaces sensorielles se perfectionneront. Les combinaisons haptiques sont un premier niveau mais les interfaces cerveau-machine pourraient bien en être l’évolution ultime.

Le cerveau, cette interface suprême, est celle qui nous permet d’interagir avec le monde, qu’il soit réel ou virtuel. Il demeure l’ultime vecteur des sensations et des émotions, allant au-delà même de notre enveloppe corporelle. Chez Neuralink, entreprise qui conçoit des dispositifs à implanter dans le cerveau pour communiquer avec les ordinateurs par le simple jeu de la pensée, je ne doute pas que l’on tente de reproduire des sensations – goût, toucher, vue – et d’autres interfaces émotionnelles sans avoir recours à un véhicule physique, mais simplement par l’altération des signaux électriques d’une série de neurones localisés dans des zones précises du cerveau. Le but étant d’éclipser les émotions pour les générer à leur source.

Il est admis, par exemple, que l’amygdale gauche participe à un réseau de neurones dédié à la perception des émotions à partir de stimuli environnementaux. Une stimulation électrique judicieusement placée peut perturber ce réseau et ainsi altérer la perception de l’émotion. Nous savons également que le goût, tel que nous le percevons, n’a véritablement lieu qu’au sein du cerveau.

Cependant, l’aspect juridique et éthique demeure un obstacle considérable à cette possible évolution de l’homme. Elon Musk lui-même souligne les nombreux problèmes éthiques que cela soulève. Il ne pense pas que de nombreuses personnes seraient prêtes à se faire implanter une puce dans le cerveau, à moins d’en avoir un besoin impérieux.

Cette évolution n’est peut-être pas du tout souhaitable. Cependant, comme le disait Jean d’Ormesson, «Les hommes sont un peu comme Dieu : tout ce qu’ils peuvent faire, ils le font. Ou ils le feront. ». Ainsi, le futur lointain de l’homme pourrait bien se réaliser sous une forme surprenante.

Je me souviens d’une conversation avec un de mes voisins, amputé des deux jambes, qui décrivait avec réalisme les douleurs fantômes qu’il ressentait. Cette réalité me préoccupe encore plus quant au niveau de réalisme que nous pourrions atteindre en trompant le cerveau avec quelques signaux bien placés.

Je me pose avec sérieux la question : qu’est-ce qui distinguera un bain de mer dans le métavers d’un bain de mer réel ? Surtout si nous avons accordé aux hommes le temps d’apprendre les sensations du réel avant de décider de les reproduire virtuellement. À l’instar de l’intelligence artificielle, notre cerveau sera entraîné au réel pour mieux s’évader dans le monde virtuel, en fin de compte. Ce monde virtuel est une toile vierge que nous avons commencé à tisser avec un temps d’avance : le métavers.

Ce jeu de dupes avec notre propre perception, ce miroir aux alouettes de la réalité avec la technologie, ouvre un horizon insoupçonné, aussi excitant que terrifiant. Comme dans toute grande révolution, c’est à nous, ses acteurs, d’en discerner les opportunités, mais aussi les écueils.

Il serait bien naïf de croire que ce futur se fera sans douleur. Mais si la souffrance est parfois le prix du progrès, alors soyons vigilants pour que ce progrès ne soit pas un saut dans le vide, mais un bond vers un futur plus humain, plus vivable, plus sensible – un futur qui respecte notre intégrité en tant qu’êtres pensants et sensibles, qui préserve ce qui fait de nous des hommes et non des machines. Pour reprendre une citation de Henri Bergson, le futur nous appartient à tous. : «L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire».

Peut-être que j’irai prendre mon prochain bain de mer dans le métavers !

--

--

charles perez

Professeur associé à la paris school of business. Docteur en science de l’information. Auteur du manuel du métavers