Le paradoxe du temps et de l’instabilité

Un visage de mots dans le paradoxe du temps.

charles perez
4 min readMay 29, 2021

L’homme est enfermé dans un paradoxe du temps où il semble malgré lui appartenir à un présent qui ne lui offre que des images furtives du passé. Le souvenir lui ouvre une porte vers ce dernier et un espoir d’avenir. Il règne assis au milieu de ce présent en constant mouvement. Un symbole d’instabilité porté par un environnement changeant, mais aussi par sa propre évolution. Cet être changeant par nature est au reflet d’un monde qui se modifie autour de lui et à chaque instant. Entrainé à son insu dans le mouvement de cette barque pas toujours sacrée de la vie, au fil du temps, il observe un paysage volatile. Son reflet dans l’eau, l’air, le feu et la terre le fera évoluer. Son trajet constitue l’expérience qui grandit en lui. Au point même, par moment, que certaines de ses pensées s’établissent comme des convictions et des vécus comme souvenirs.

Les technologies auraient un pouvoir surprenant. Elles iraient jusqu’à créer des souvenirs que nous n’avons pas connus. Des souvenirs vécus par procuration au travers des images que nous consultons sur les appareils qui nous accompagnent. Des souvenirs qui ne font pas partie de notre histoire.

L’homme fluctue en permanence au milieu de croyances et d’idées qui se créées et s’effacent, sans pour autant sombrer, au milieu d’un monde qui se fait et se défait, et qui surtout nous dépasse. De ces cellules qui se meurent, se créent et se multiplient et qui se comptent en milliards dans notre organisme en constante organisation. De ces milliards de pixels qui changent nos perceptions, de ces innombrables idées posées sur peu de choses et souvent un peu sur tout. De ces mots lus, de ces mots prononcés, entendus, de ces images perçues, mémorisées et parfois oubliées. Ce que nous sommes s’ancre dans un perpétuel mouvement, dans un monde en perpétuelle révolution, porté par les astres, les planètes, les autres et par son miroir. Des hommes instables, dans une instabilité quasi permanente et à toutes les échelles. L’univers dicte cette instabilité derrière une apparence grossièrement stable. Tout tourne, tout bouge et la matière se promène dans un mouvement et un échange d’énergie, dans une multitude de référentiels, et quelques dimensions spatiales et temporelles ; spatiotemporelles, nous a-t-on appris. À toutes les échelles, on vibre, on se choque, on interagit, on disparait et on apparait, on vit et on meurt, on croît et on s’effondre.

Conséquence de cette instabilité pourtant si stable, l’homme, ses émotions et ses décisions peuvent s’évanouir ou se créer sous l’effet d’une réalité anecdotique. Le psychologue et prix Nobel d’économie, Daniel Kahneman avait mis en évidence l’une de nos multiples failles — une information nouvelle peut faire basculer une position acquise et changer une décision, une croyance et certainement un avenir en un rien de temps[1]. En ce sens, une partie de ce qui constitue l’homme est et restera inconsistante, tandis que la science nous en offre souvent un semblant de consistance, précisément et souvent derrière un inconnu cognitif et loin d’être matérialiste.

Les sciences, moles ou dures, s’assouplissent dans les mains de l’homme. Si le philosophe grec Héraclite se plaisait à dire que personne ne se baigne deux fois dans le même fleuve, les bras asséchés du Nil nous rappellent que le fleuve ne se couche plus toujours dans le même lit. L’homme ne se baignera jamais deux fois dans la même réalité ni dans un même esprit, ni dans le même temps, le même présent. Plus justement, on devrait lire : l’homme ne se baigne jamais deux fois dans le même conscient, dans la même information. Il ne se promènera jamais deux fois avec le même homme.

Le rio Madre de Dios accompagné de se rivière volante (Bolivie). Theo Allofs/Biosphoto

L’esprit du fleuve Amazone sort parfois de son lit pour nous offrir des images étonnantes. Sous certaines conditions climatiques, des nuages se forment au-dessus de son lit. Ces nuages dessinent une rivière aérienne parallèle qui suit le cours du fleuve. Une partie d’elle semble alors s’élever vers les cieux, elle forme une rivière volante.

C’est un chemin que pourrait suivre l’homme numérique.

[1] Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, 2011.

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charles perez

Professeur associé à la paris school of business. Docteur en science de l’information. Auteur du manuel du métavers