Le manuel du métavers : réalité ou simulation ?

charles perez
4 min readAug 14, 2022

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Perez Charles auteur du manuel du métavers 📖

Teilhard de Chardin indiquait dans ses œuvres que la création n’a jamais cessé. Dans les écrits du temps de guerre, Œuvres XII, p. 149, il précise :

« la Création n’a jamais cessé. Mais son acte est un grand geste continu, espacé sur la Totalité des Temps. Elle dure encore ; et, incessamment, bien qu’imperceptiblement, le Monde émerge un peu plus au-dessus du Néant ».

L’homme devenu anthropocène est peut-être sur le point de construire l’une des plus grandes œuvres de création. Celle du métavers, d’un univers virtuel de très grande ampleur.

Dans le récit de la Genèse, la création démarre par celle d’un univers sous-jacent, puis celle des lois de la physique et enfin l’arrivée de la vie. Suivant la même procédure, l’homme a créé un univers sous-jacent, fait de blockchain et de smart contrats, il est en train de définir les normes et protocoles semblables aux lois de la physique de notre monde réel. Enfin, il y englobe la vie et tous ses attributs pour peupler cet univers et lui donner du sens.

Les anciens Grecs avaient une vision du monde qui offre une métaphore intéressante sur le métavers et sa place dans notre création. Les Grecs croyaient en un univers organisé en trois couches : (1) le royaume supérieur uniquement habité par des dieux, (2) le royaume intermédiaire crée par des dieux et habités par des hommes eux-mêmes créations des dieux, (3) le royaume inférieur gouverné par les dieux. Ce dernier accueille l’esprit des humains après la mort et les dirige vers différentes destinées.

Dans la mythologie, les dieux grecs ont la possibilité de se rendre dans les différents royaumes, mais doivent s’incarner lorsqu’ils rejoignent la Terre. Ils peuvent prendre des formes de toutes nature (animal, humain, végétal, etc.) pour se rendre sur notre Terre.

Le métavers que nous construisons ressemble à un royaume nouveau. Une strate supplémentaire à l’image de celles envisagées par les Grecs. Pour y entrer, l’homme doit également s’incarner sous forme d’avatar.

La métaphore indique que l’homme agirait presque comme un dieu dans le royaume du réel. En particulier du fait de la construction d’un royaume virtuel qu’il semble dominer. Il y définit les règles à suivre par le code et les interfaces. Il dessine les briques de cet univers à sa volonté et y exerce un pouvoir. Toujours en suivant l’image, le royaume inférieur pourrait venir recueillir les images et les données des avatars disparus. Une mémoire collective de ce qui a été dans le royaume intermédiaire du métavers et qui n’est plus.

Cet exemple illustre l’ampleur des enjeux associés à cet acte de création de l’homme qui dépasse le simple cadre technique et économique pour englober des enjeux anthropologiques et historiques pour notre espèce. Les conséquences en termes de croyance et de philosophie devront être pensées et anticipées afin de garder le contrôle de notre métavers. Pour obtenir plus d’éléments sur la référence mythologique, vous pouvez consulter l’excellent article du Swiss Institute for alternative thinking.

L’univers entier pourrait être une simulation.

Terminons ce livret en rappelant que depuis 2003, certains scientifiques ont émis l’hypothèse d’un univers simulé. Le philosophe suédois et transhumaniste Nick Bostrom l’a associé à la théorie de la simulation. Dans le cadre de cette théorie, la réalité observable aurait pour trame une simulation à l’image de celles proposées par les ordinateurs. Les entités présentes dans cette simulation ne pourraient alors pas accéder à la vraie réalité dont la nature serait inconnue. Le physicien Andrea Fontana montrera en 2005 à l’aide de la relativité euclidienne que notre espace-temps pourrait être un processus informatique. Si les scientifiques sont partagés, des expérimentations et des mesures sont toujours en cours pour tenter de réfuter définitivement cette hypothèse qui est considérée par certains comme farfelue ou conspirationniste.

Dans les célèbres Méditations métaphysiques (1641), Descartes faisait place au doute :

« Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain. »

Quoi qu’il en soit, l’homme a la lourde tâche de construire un nouvel univers construit de toutes briques par son esprit et des outils numériques basés sur la donnée et l’information. Un jour viendra peut-être où la qualité de notre création sera telle que nous ne saurons plus vraiment distinguer le type de réalité dans lequel nous évoluons : le monde virtuel ou le monde réel. À moins que ce dernier ne soit depuis le départ lui-même qu’une simulation.

Pour en savoir plus : “Le manuel du métavers

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charles perez

Professeur associé à la paris school of business. Docteur en science de l’information. Auteur du manuel du métavers