#5GCoronavirus: Décryptage d’une fake news
Nous sommes début décembre 2019, le virus du COVID-19 est au centre de toutes les attentions et des discussions sur les réseaux sociaux. Assez vite, de nombreuses fausses informations vont commencer à circuler sur le réseau Twitter. L’une d’entre elles atteindra un très fort pic d’audience au premier trimestre 2020, celle de l’impact de la 5G sur la propagation du virus. Des chercheurs ont analysé pour nous le phénomène afin de nous aider à le comprendre.
Dangerous Messages or Satire? Analysing the Conspiracy Theory Linking 5G to COVID-19 through Social Network Analysis (Preprint) Article in Journal of Medical Internet Research · April 2020.
Wasim Ahmed Newcastle University, Joseph Downing The London School of Economics and Political Science, Josep Vidal-Alaball Institut Català de la Salut, Francesc López Seguí University Pompeu Fabra
La Rumeur
La nouvelle génération de standards de téléphonie mobile va peu à peu faire son apparition dans les prochaines semaines et les prochains mois. Cette cinquième génération (5G) promet une augmentation progressive et significative des débits en exploitant notamment des fréquences élevées. En conséquence, on espère une optimisation des services existants, mais aussi l’émergence de nouveaux services dans de nombreux domaines (santé, transport, etc.).
Les utilisateurs de médias sociaux vont contribuer à une rumeur selon laquelle la 5G serait à l’origine d’une accélération de la propagation du virus. Le système immunitaire des personnes situées dans des zones couvertes par la 5G serait affaibli. Les nouvelles antennes disposées aux abords des villes seraient donc responsables et sont prises pour cible. Si le vérificateur de faits Full Fact affirme assez vite que cette hypothèse est fausse, plusieurs tours 5G feront l’objet de dégradations dans plusieurs pays (Angleterre, Irlande du Nord, Nouvelle-Zélande). En particulier, l’hôpital Nightingale de Birmingham (Royaume-Uni) a vu son mât téléphonique incendié. Le travail de recherche Dangerous Messages or Satire ? Analysing the Conspiracy Theory Linking 5G to COVID-19 through Social Network Analysis présente une étude de cette rumeur sur les réseaux et nous indique comment éviter à l’avenir un tel phénomène. Le point de départ de la rumeur tient en un ensemble de vidéos publiées sur YouTube. Dans ces dernières, des accusations directes sont effectuées entre la santé des citoyens de Wuhan et l’installation des tours 5G. Cette rumeur, qui prendra de nombreuses formes, va se déployer sur de multiples réseaux en quelques jours. Le réseau d’instantanéité Twitter a tout particulièrement été l’un des vecteurs forts de cette propagation.
Les 4 enseignements de l’étude
Les outils technologiques de stockage et de collecte de données permettent désormais de remonter le fil des évènements pour étudier la mécanique de propagation d’une fausse information. Ainsi, les chercheurs vont tisser la toile des interactions ayant eu lieu autour du mot-dièse de cette rumeur : #5GCoronavirus. Grâce à leur étude, les scientifiques vont mettre en exergue quatre résultats surprenants sur les causes de cette rumeur.
1 — Le danger de l’isolement
L’étude démontre qu’un ensemble significatif d’utilisateurs ont pris le rôle de diffuseur de cette fausse information. Ces diffuseurs ont un point commun, ils sont connectés entre eux et corroborent leurs propos dans ce que le l’on dénomme une chambre d’écho. Cet isolement à travers des liens forts entre les profils ayant les mêmes opinions favorise l’émergence d’une information pensée réelle tandis qu’elle n’est pas vérifiée. Elle dévie ainsi certains utilisateurs de la réalité perçue trop souvent uniquement au travers des leurs relations et des réseaux sociaux.
Les travaux suggèrent de varier les catégories de profils et les leadeurs d’opinion dans vos réseaux. Cela permet d’éviter de construire un réseau favorisant les chambres d’écho. Il est aussi possible de désactiver les recommandations automatiques.
2 — Le risque de la dérision
En analysant sémantiquement le contenu des messages, les chercheurs vont identifier que l’émergence du mot-dièse n’est pas uniquement liée à la rumeur, mais aussi à sa dénonciation et au détournement de celle-ci par les internautes. Sur Twitter, 35 % des messages étaient en effet des soutiens à la rumeur, 32 % dénonçaient une conspiration et le reste n’exprimait pas d’opinion spécifique à ce sujet. Ceci indique qu’une majorité de messages liés à la rumeur ne soutenait pas celle-ci bien que faisant usage du mot-clé. Ce comportement est à risque, car il permet à la rumeur de prendre de l’importance au point de devenir l’un des principaux sujets de discussion sur Twitter.
L’article de recherche stipule qu’il est important de ne pas relayer même à titre humoristique une rumeur. Cette pratique contribue involontairement à sa propagation dans le réseau. Si un message de ce type peut attirer une visibilité plus forte, cette pratique est pourtant nuisible pour la bienséance du réseau.
3 — L’absence d’autorité pour dénoncer la rumeur
Les chercheurs vont expliquer que la propagation de cette rumeur a été rendue possible, car aucune autorité ou individu d’influence n’a déconstruit officiellement la fausse information. Pourtant, celle-ci se basait principalement sur des sources de mauvaise qualité. Ainsi, en l’absence d’opposants forts à la fake news, celle-ci s’est propagée au fil des utilisateurs.
Les plateformes et institutions concernées se doivent de contrôler régulièrement et en temps réel l’émergence de rumeurs sur les réseaux sociaux afin de pouvoir saisir un vérificateur de faits dans les plus brefs délais. Un officiel doit ensuite prendre le temps de déconstruire la rumeur sur ces mêmes réseaux afin de limiter les effets de sa propagation.
4 — L’acte précède la pensée
Les utilisateurs pris dans une spirale d’accélération et d’accès à l’information en masse n’ont pas toujours le recul nécessaire pour analyser et évaluer la légitimité de l’information. Le sociologue Pierre Bourdieu expliquait déjà à l’ère télévisuelle que la pensée ne peut aller aussi vite que le média et nécessite un recul que l’instantané ne permet pas d’acquérir.
En conséquence, une fausse information est souvent partagée avant même d’être vérifiée. Ainsi, même si l’information est officiellement dénoncée et établie comme fausse, la publication d’un démenti sur le sujet n’a pas toujours autant de visibilité que la fausse information elle-même. Cette dernière attire par son caractère sensationnel. Rappelons qu’une étude de chercheurs du MIT avait déjà établi que les fausses informations avaient plus de chance d’être propagées que les vraies informations sur Twitter. Les chercheurs avaient alors clairement identifié que les fausses informations atteignent plus de personnes. Ils stipulaient : « Les fausses nouvelles ont atteint plus de gens que la vérité ; le top 1 % des cascades de fausses nouvelles se diffuse entre 1 000 et 100 000 personnes, alors que la vérité se diffuse rarement à plus de 1 000 personnes. Le mensonge s’est également diffusé plus vite que la vérité. » Avant de conclure : « Le degré de nouveauté et les réactions émotionnelles des destinataires peuvent être responsables des différences observées. »
Les travaux suggèrent de prendre du recul par rapport à nos actions numériques. Le réseau pousse à une ultra consommation de contenus et nous fait agir trop souvent dans une pensée réflexe. Le sensationnel au détriment du sens. À ce sujet, on envisage de plus en plus une technologie lente ou calme (écologie de l’attention) qui permet le recul nécessaire à nos actions.
Terminons cet article sur une note encourageante en notant que la France dispose d’une loi contre la manipulation de l’information. Celle-ci vise à protéger notre pays contre les impacts d’une telle pratique. Elle s’applique aux médias sociaux ayant plus de 5 millions de visiteurs et requiert de leur part une plus grande vigilance au niveau des algorithmes utilisés, des comptes propageant de fausses informations et un accompagnement du public sur cette problématique.
Charles Perez